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Le Salon Reçoit Yves Le Pestipon :

Les aventures universelles de la place Marius Pinel

La place Marius Pinel fut exposée au Salon reçoit le 22 novembre 2015. Des artistes y contribuèrent. Un chien fit une performances remarquée On but de l'eau de la place. On brûla des livres qui s'y trouvèrent, dont une "Histoire de l'Eglise catholique". Des paroles furent prononcées. des objets furent distribués. L'exposition de la place, qui est, comme toute place, une exposition, sera exposée à son tour dans le film "Les aventures universelles de la place Pinel". Voici en tout cas une video sommaire.

 

L'exposition Marius Pinel a donné lieu a une performance radicale d'un chien. Là où les humains se contentent souvent d'un regard poli sur les oeuvres d'art, ce chien bondit. Il est vrai que le mobile, entièrement trouvé place Pinel, en vaut la peine. Voici, nous théoriserons plus tard :endroit parfait pour raconter une histoire, et pour vous présenter à vos utilisateurs.

Le square Marius Pinel (acrylique/toile - 75x60)

 

 

Animaux, place Pinel (Texte publié en espagnol dans la revue chilienne Grifo, août 2014) 

 

A deux cent cinquante kilomètres de l’Atlantique, en France, à Toulouse, dans un quartier de villas construites au milieu du vingtième siècle, la place Marius Pinel est un carré doté d’une pelouse, d’une aire de jeux pour enfants, de tilleuls, de platanes, d’un boulodrome, et d’un kiosque à musique.  
Les animaux n’y manquent pas. Ils sont même si présents que les hommes ont voulu imposer aux chiens un « espace canin », mais pour les chats, ou pour les moineaux, ou pour les pigeons ou pour les merles, ou pour les mouches, ou pour les papillons, ou pour les fourmis, ou pour les scarabées, ou pour les vers de terre ou pour les rats, ils n’ont pas construit d’espaces comparables. Les hommes ont donc constitué deux populations d’animaux place Pinel : celle dont les crottes sont supportables, et celle dont les crottes sont si insupportables que la municipalité a grillagé un espace que signalent des inscriptions, des flèches, des symboles, et que complète un distributeur de sacs noirs pour celles qui ne seraient pas éjectées là. Sont visés les chiens, toutes sortes de chiens, les épagneuls, les fox-terriers, les bouledogues, les setters, les teckels, les chiwawas, les bergers allemands, les bergers belges, les lévriers, les saint-bernards, les king Charles spaniels, les schnauzers nains, les ratiers de Prague, les pékinois… Certains, place Pinel, sont tenus en laisse. D’autres courent, mais sous la surveillance de maîtres. Certains sont gros, d’autres petits, certains aboient férocement, d’autres restent calmes, mais toutes leurs crottes sont indésirables. L’espace canin est leur destin. 
Nulle mélancolie pourtant. On ne voit point de chiens qui envient les chats, les papillons, les puces, ou les lézards, dont la diversité des projets excrémentiels est acceptée. Sans doute les chiens sont-ils cyniques. Si la ville réduit leur liberté coprophorique, ils peuvent mépriser l’interdit. L’art de chier libre est pour eux une pratique philosophique. Quoi de plus dialectique que d’éviter l’espace canin ? Quoi de plus critique, par des museaux dégoûtés et des jappements, que d’éloigner les maîtres de leur devoir de citoyens, de les forcer à laisser leurs compagnons chier dans les grilles, dans la pelouse, sur le boulodrome, et dans les allées, comme y chient les chats, les doryphores, les papillons, les moineaux, et même les goélands qui remontent depuis la mer et n’hésitent pas à fréquenter la place Pinel, mais qui n’y savourent jamais la transgression de l’interdit. Ces libres chieurs n’ont pas l’intelligence cynique de tricher avec conscience. Ils restent des animaux. 
Les chiens manifestent encore leur supériorité philosophique en aboyant dans le kiosque. Ils se réunissent parfois sous son élégante voûte, édifiée en 1933 pour des concerts populaires, et qui n’abrite pourtant jamais de tels concerts. Seuls des chiens, des poètes et des enfants y viennent émettre des sons.  
Ce kiosque est une énigme : les musiciens ordinaires ne parviennent pas à l’employer pour jouer devant des publics, car ils ne perçoivent pas ce qu’ils font entendre. Toute personne chantant ou criant là peut se croire dans les profondeurs d‘une grotte sacrée qu’on aurait employée ou conçue pour un culte à mystères. Nul n’a déterminé si l’architecte a voulu dès l’origine un kiosque impossible, ou s’il a commis une erreur dans la structure acoustique. Plusieurs théories s’affrontent, mais leur combat depuis un demi-siècle ne change rien au manque d’orchestres dans le kiosque. Seuls le fréquentent régulièrement des enfants de l’école voisine, des poètes et des chiens qui goûtent leurs échos.  
Les chats ne viennent pas miauler là. Les merles, les pigeons, ou les mésanges ne s’y assemblent pas pour émettre des chants plus ou moins suaves. La bergeronnette, voire le merle blanc, que l’auteur de ces lignes a pourtant vu un jour place Pinel, ne prétendent pas y charmer. Quant aux vers de terre, aux courtilières, aux punaises des bois, aux scolopendres, aux millepattes, ils ne s’épuisent pas à gravir les six marches du kiosque pour s’exposer sur son sol en béton lisse. Et l’on n‘y a jamais vu un âne. 
Les chiens seuls aiment s’entendre sous la voute résonnante. Certains hurlent presque à la mort. D’autres jappent ridiculement. Beaucoup aboient avec joie. Parfois se constituent des petites meutes, mais le plus souvent ce sont des vociférations solitaires.  
Ces chiens ressemblent aux poètes qui aiment se rassembler dans ce kiosque pour essayer leur voix, projeter vers la voute dans la nuit des syllabes, les moduler, les faire tourner autour de leur corps. Ils écoutent leur souffle se mêler par leur pieds à leur chair et flotter avec mille échos. 
Pour accompagner leurs mélanges sonores, ces poètes vont recueillir de la terre dans la pelouse de la place Pinel. Ils la mettent dans de petits sacs, et la portent, avec beaucoup de soin, dans des lieux divers du monde, en Irlande ou en Chine, au Vatican ou en Sardaigne, n’importe où. Ils la répandent gravement en psalmodiant le nom de Marius PineI. Ils nomment cet acte inutile, mais précieux à leurs yeux, « pinélisation ». Ils veillent, année après année, à pinéliser toute la Terre. Ils rêvent de pinéliser aussi les étoiles. Il leur semble qu’il existe un accord puissant quoique paradoxal entre l’effet sonore du kiosque qui métamorphose leurs mots en une matière fluide et la dispersion d’un peu de cette terre comme des gouttes de sperme ou des paroles d’évangile. 
Beaucoup de chiens ont chié dans cette terre que les pinélisateurs malaxent et métamorphosent en dons pour toute la Terre, mais des insectes et des oiseaux ont chié aussi. Des vers de terre l’ont traversée, fait respirer. Des limaces ont bavé sur elle. Des mouches y sont mortes. Des souris y ont creusé des terriers. On y trouve des poils de rats décomposés ou des plumes de merles. Des milliers de millepattes y ont leurs tombeaux. D’innombrables petites molaires y sont fossilisées. Des bactéries y grouillent. D’infimes tentacules s‘y tortillent. Les poètes transportent ce bestiaire n’importe où. Ils font choir librement la terre de la place Pinel pleine d’animaux morts et vivants.  
Des grillons, des merles, des punaises, des bactéries et des chats vivent dans la place, dont ils traversent le ciel, les profondeurs, ou dont ils ascensionnent les arbres. Ils sont innombrables. On n’en finirait pas de dire toutes leurs variétés, ni d’énumérer tous leurs individus, ni leurs poils, leurs plumes, leurs parasites, les gouttes de leur sang, les cellules dont ils vivent, les feuilles ou les chairs qu’ils mangent. On n‘en finirait pas. Tout l’espace est leur espace. Ils n’ont pas besoin d’artifice. On ne les réglemente pas, mas ils n’aboient pas dans un kiosque, ni ne protestent avec leurs crottes, ni ne hurlent des poèmes. Aucun cynisme. Ils peuplent la place Pinel, toute sa terre, tout le texte dont ils ne disent mot, le ventre et la voix de l’auteur de ces lignes. 

 

Yves Le Pestipon (Toulouse, 1957) poeta, doctor en Letras y especialista en La Fontaine. Forma parte del colectivo de acción artística L’Astrée.
ANIMALES, PLAZA PINEL
A doscientos kilómetros del Atlántico, en Francia, en Toulouse, en un barrio residencial construido a media¬dos del siglo xx, la plaza Marius Pinel es un cuadrado con césped, área de juegos infantiles, tilos, plátanos, can¬chas de petanca y un quiosco de música. 
Ahí no faltan animales. Están tan presentes que los hombres quisieron imponer a los perros un “área cani¬na”, pero para los gatos o gorriones o palomas o mirlos o moscas o mariposas u hormigas o escarabajos o gusa¬nos o ratas, no se han construido áreas comparables. Así pues, los hombres han constituido dos poblaciones de animales en la plaza Pinel: la de cacas soportables y la de cacas tan insoportables que el municipio ha enreja¬do un área que señalan inscripciones, flechas, símbolos, y que completa un distribuidor de bolsas negras para aquéllas que no serían eyectadas ahí. Dicha área está destinada a los perros, toda clase de perros, los poden¬cos, los fox terriers, los bulldogs, los setters, los tec¬kels, los chiguaguas, los pastores alemanes, los pastores belgas, los lebreles, los san bernardo, los King Charles spaniels, los schnauzers enanos, los ratoneros de Praga, los pekineses. En la plaza Pinel unos llevan correa. Otros corren pero vigilados por sus amos. Unos son grandes, otros pequeños, unos ladran ferozmente, otros se que¬dan tranquilos, pero todas sus cacas son indeseables. El “área canina” es su destino.
No obstante, nada de melancolía: no se ven perros que les tengan envidia a los gatos, mariposas, pulgas o la¬gartijas, cuya diversidad de proyectos excremenciales es aceptada. Puede que los perros sean cínicos. Si la ciudad les reduce la libertad coprofórica, pueden despreciar lo prohibido. El arte de cagar libremente es para ellos una práctica filosófica. ¿Habrá algo más dialéctico que evitar el área canina? ¿Algo más crítico, con hocicos asqueados y ladridos, que alejar a los amos de sus deberes de ciu¬dadanos, obligarles a dejar que sus compañeros caguen en las rejas, en el césped, en las canchas de petanca, en las alamedas, como cagan ahí los gatos, las doríforas, las mariposas, los gorriones y hasta las gaviotas que llegan del mar y no vacilan en frecuentar la plaza Pinel, pero que nunca disfrutan ahí la transgresión de lo prohibido? Esos libres cagones no tienen la inteligencia cínica de engañar a sabiendas. Siguen siendo animales.
Los perros manifiestan también su superioridad filosó¬fica ladrando en el quiosco. Se reúnen a veces bajo su elegante bóveda, edificada en 1933 para conciertos po¬pulares, donde sin embargo nunca se dan tales concier¬tos. Sólo perros, poetas y niños van ahí a emitir sonidos.
Este quiosco es un enigma: los músicos ordinarios no logran usarlo para tocar ante el público, porque no per¬ciben lo que están tocando. Cualquiera que cante o grite ahí puede creerse en las profundidades de una cueva sagrada que se hubiera usado o concebido para un cul¬to de misterios. Nadie ha determinado si el arquitecto quiso originariamente un quiosco imposible o si cometió un error en la estructura acústica. Se enfrentan varias teorías, pero su confrontación desde hace medio siglo no cambia nada a la falta de orquestas en el quiosco. Sólo lo suelen frecuentar niños de la escuela cercana, poetas y perros que disfrutan de sus ecos.
Los gatos no van ahí a maullar. Los mirlos, las palomas o los herrerillos no se juntan ahí para emitir cantos cada día menos suaves. La aguzanieves y hasta el mirlo blan¬co, que el autor de estas líneas sí vio algún día en la plaza Pinel, no pretenden ejercer ahí encanto alguno. Por su parte las lombrices, los cortones, las chinches, las escolopendras, los ciempiés no se toman la molestia de subir los siete escaños del quiosco para tumbarse al sol en el hormigón liso. Y nunca se ha visto ahí a ningún burro. Sólo a los perros les gusta oírse bajo la bóveda sonora. Unos casi aúllan a la muerte. Otros ladran de forma ridícula. Muchos con alegría. A veces se forman pequeñas jaurías, pero las más de las veces son vocife¬raciones solitarias.
Esos perros se parecen a los poetas a quienes les gusta juntarse en este quiosco para probar su voz, lanzar de noche sílabas hacia la bóveda, modularlas, hacerlas gi¬rar en torno a sus cuerpos. Escuchan cómo su soplo se mezcla por sus pies a su carne y flota luego con mil ecos.
Para acompañar las mezclas sonoras, esos poetas van a recoger tierra del césped de la plaza Pinel. La echan en bolsitas y se la llevan, con sumo cuidado, a diferentes lugares del mundo, a Irlanda o a China, al Vaticano o a Cerdeña, a cualquier lugar. La vierten solemnemen¬te salmodiando el nombre de Marius Pinel. Le llaman a este acto inútil –pero precioso según ellos– “pineli¬zación”. Procuran que, año tras año, se pinelice toda la Tierra. Sueñan con pinelizar también las estrellas. Les 
parece que existe un acorde poderoso aunque paradóji¬co entre el efecto sonoro del quiosco que metamorfosea sus palabras en una materia fluida, y la dispersión de un poco de esa tierra como gotas de esperma o palabras de evangelio.
Muchos perros cagaron en esta tierra que los pineliza¬dores trituran y metamorfosean en donativos para la Tierra entera, pero hubo también insectos y pájaros que cagaron en ella. Lombrices la atravesaron, la hicieron respirar. Babosas le babearon encima. Moscas ahí mu¬rieron. Ratones cavaron en ella para hacer sus madri¬gueras. Ahí se encuentran pelos de ratas descompuestas o plumas de mirlos. Millares de ciempiés tienen ahí sus tumbas. Innumerables pequeñas muelas fosilizadas. Hormiguean las bacterias. Ínfimos tentáculos se retuer¬cen. Los poetas transportan este bestiario a cualquier parte. Dejan caer libremente la tierra de la plaza Pinel llena de animales muertos y vivos.
Grillos, mirlos, chinches, bacterias y gatos viven en la plaza, y cruzan su cielo, sus profundidades, suben a sus árboles. Son innumerables. Sería un cuento de nunca acabar enumerar todas sus variedades, sus in¬dividuos, sus pelos, plumas, parásitos, gotas de su sangre, células de las que viven, hojas y carnes de las que se alimentan. Un cuento de nunca acabar. Todo el espacio es su espacio. No necesitan artificio alguno. No hay quien los reglamente, pero no ladran en un quios¬co ni protestan con sus cacas ni gritan poemas. Ningún cinismo. Pueblan la plaza Pinel, toda su tierra, todo el texto del que no dicen palabra, el vientre y la voz del autor de estas líneas.

 


Traducción de Franck Tisserand y Mari Carmen Gallegos Carmona.

Catherine Dhomps

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