La petite fille aux tresses
La petite fille aux tresses est apparue dès le premier tableau, un petit carton
entoilé aux couleurs passées, conservé précieusement, comme une relique.
Quelques tableaux plus tard, de plus en plus souvent, elle déambule sur la toile, observant la scène d'un oeil narquois, neutre, détaché, malicieux ou rêveur, selon l'inspiration.
Jusqu'à ce que revienne la question :
- "Pourquoi une petite fille avec des tresses ? - Qui est-ce ?"
Personne dans l'entourage ne correspond à ce portrait. Elle s'est imposée sans y penser, provoquant une relation d'attachement au fil du temps.
La grand-mère adorée est morte. La maison de famille est vidée de ses meubles.
Seuls restent encore aux murs des tableaux et les photos encadrées des ancêtres, du père, des tantes, en poupons à houppettes tendrement rehaussés de tons pastels, déguisés en princes et Charlots, ou en communiants sages à l'oeil rêveur, mains gantées de blanc posées délicatement sur un livre de prières. Les photos sont si familières qu'il a fallu cette visite dans la maison dénudée, un angle nouveau d'observation pour que le mystère, enfin, soit révélé : elle est là, partout, omniprésente, démultipliée en photos de toutes tailles, dans chaque pièce, Geneviève aux longues tresses, la jeune tante décédée à quatorze ans, l'année de mes quatre ans.
Dans l'un des rares meubles restés en place, se cache un album regorgeant des photos de la petite fille, s'échelonnant de sa naissance à l'adolescence où la maladie l'a emportée.
Elle a dix ans, environ, un sourire joyeux. Elle promène un bébé paisible dans un landau imposant. Ce bébé, c'est moi : sur la chaise haute en bois sombre, dans le jardin où elle guide mes premiers pas, sous le tilleul plus loin, où assise sur une petite chaise, elle fait semblant de me nourrir avec la dînette du poupon en celluloïd.
En tournant les pages, on voyage dans le passé avec la certitude que la mémoire de ces instants d'innocence s'est imprimée à jamais et que la magie de la création a permis que la petite fille se promène toujours et encore dans les tableaux, tresses au vent.